﷽
﴾ Un Livre béni que Nous avons fait descendre vers toi, afin qu’ils méditent sur ses versets et que les doués d’intelligence se rappellent. ﴿(1)
Le Qurʾān est la Parole d’Allah incréée, révélée pour guider l’humanité et illuminer les cœurs. Sa récitation, sa compréhension et sa méditation constituent parmi les plus nobles formes d’adoration et les plus hautes voies d’élévation spirituelle. Mais pour une grande partie des musulmans francophones, l’accès direct à ce message divin demeure limité par la langue.
C’est dans ce contexte qu’une question revient sans cesse : quelle est la meilleure traduction du sens du Qurʾān en français ?
Cette interrogation, bien que récurrente, est légitime. Elle exprime à la fois le désir sincère de comprendre le Livre d’Allah et la conscience croissante des limites inévitables de la traduction lorsqu’il s’agit de Sa Parole. Mais à cette question simple en apparence, la réponse ne peut être que nuancée. Car, malgré la multitude de traductions françaises existantes, aucune ne satisfait pleinement aux critères d’un travail rigoureux, fidèle et scientifiquement fondé, qu’il s’agisse du plan linguistique, théologique ou méthodologique.
Le défi est immense : traduire le sens du Qurʾān revient non seulement à transposer un texte d’une densité sémantique unique et inimitable, mais aussi à en restituer la portée doctrinale, spirituelle et stylistique, sans la trahir. Un tel défi explique la diversité des tentatives de traduction qui ont vu le jour au fil des décennies.
Parmi elles, deux se détachent particulièrement du lot et reviennent régulièrement dans les discussions au sein du public francophone : celle de Nabil Aliouane (Tawbah) et celle de Rachid Maach. Chacune d’elles est souvent présentée comme la meilleure traduction du sens du Qurʾān, tant par le public que par les diffuseurs.
Ce modeste article propose donc un examen attentif et mesuré de ces deux travaux, afin d’en souligner à la fois les apports et les limites méthodologiques, et de déterminer si la réputation qu’ils suscitent résiste réellement à l’analyse.
Il importe de préciser, dès à présent, que ce travail n’a nullement pour but de dénigrer ni de minimiser les efforts de ces deux traducteurs, encore moins de s’ériger en juge de leurs intentions ou de leur sincérité.
La traduction du sens du Qurʾān demeure, quelle qu’en soit l’issue, une entreprise redoutablement exigeante et lourde de responsabilité. Leur travail, par sa sincérité et son ampleur, mérite au contraire reconnaissance et respect.
Les deux traducteurs en sont d’ailleurs pleinement conscients : Nabil Aliouane comme Rachid Maach reconnaissent, dans leurs introductions respectives, les limites de leur démarche et la difficulté d’un projet qui dépasse largement les capacités d’un seul individu.
Il convient donc, dès l’abord, de comprendre que les observations qui suivent ne concernent pas les personnes, mais les méthodes ; elles ne remettent pas en cause la sincérité des auteurs, mais s’attachent à évaluer leurs travaux selon les critères scientifiques et linguistiques qui s’imposent à tout travail touchant à la traduction du sens de la Parole d’Allah.
L’objectif de cette étude est donc double :
1. Apporter un éclairage réfléchi et mesuré à cette question souvent posée « quelle est la meilleure traduction du sens du Qurʾān ? » sans prétendre y répondre de manière définitive ;
2. Mettre en évidence les forces et les limites des deux traductions les plus discutées aujourd’hui dans le paysage francophone : celle de Nabil Aliouane (Tawbah) et celle de Rachid Maach.
Ces deux œuvres se distinguent des précédentes par un effort manifeste de qualité et par la volonté d’offrir un texte fidèle à la compréhension des savants, tout en demeurant accessible au lecteur francophone contemporain.
Elles marquent une étape importante dans la production francophone : pour la première fois, des traducteurs formés à la fois aux sciences islamiques et à la langue française ont tenté de rendre le message du Qurʾān dans une langue claire et respectueuse du sens.
Cependant, la sincérité de l’intention ne saurait tenir lieu de méthode. Car traduire la Parole d’Allah ne peut se réduire à un exercice littéraire ni à une simple reformulation du texte arabe ; il s’agit avant tout d’un acte de transmission savante, fondé sur la connaissance des sciences du Qurʾān, la maîtrise de la langue source (l’arabe) et de la langue cible (le français), et la consultation des exégèses authentiques reconnues.
C’est à cette rigueur et à cette humilité que doivent être mesurées toutes les tentatives de rendre, dans une autre langue, le sens du Livre d’Allah.
I. La traduction de Nabil Aliouane (Éditions Tawbah)
Pour aborder ce comparatif, il semble naturel de commencer par la traduction de Nabil Aliouane, parue aux Éditions Tawbah, sans doute la plus diffusée et mise en avant comme la meilleure traduction aujourd’hui dans l’espace francophone.
Nabil Aliouane y propose une introduction dense et structurée, exposant avec clarté sa conception de la traduction du sens du Qurʾān et la méthodologie qu’il s’engage à suivre. Il revendique une approche fidèle aux explications des savants, conciliant accessibilité pour le lecteur moderne et authenticité doctrinale dans la transmission des significations.
Sur le plan linguistique, la traduction de Nabil Aliouane présente une réelle qualité de style. Le français employé est généralement clair, fluide et contemporain, sans excès d’archaïsmes ni recherche d’effet littéraire. L’équilibre entre littéralité et accessibilité est globalement bien maîtrisé : les phrases sont bien construites, le vocabulaire précis et la syntaxe respectueuse des usages du français écrit. Ce choix stylistique rend la lecture agréable et intelligible, tout en évitant l’écueil d’une traduction trop “littérale” ou trop “littéraire”, qui risquerait de s’éloigner du sens voulu.
Cependant, dès que l’on dépasse ces qualités formelles pour examiner la méthodologie traductive proprement dite, deux limites importantes apparaissent.
La première concerne une tendance marquée à la surinterprétation.
En cherchant à rendre le texte clair et accessible, Nabil Aliouane multiplie les précisions, les paraphrases et les ajouts explicatifs, souvent placés entre crochets, au point que sa traduction se rapproche davantage d’un tafsīr condensé que d’une véritable traduction du sens. Le traducteur le reconnaît d’ailleurs lui-même : il précise, dans sa section « Méthodologie de la traduction », que son travail constitue un résumé et un condensé de sa traduction antérieure de « L’authentique de l’exégèse d’Ibn Kathīr ».
Or, si la traduction littérale du sens du Qurʾān est, par nature, impossible, la traduction explicative ne consiste pas pour autant à commenter ; elle vise à transmettre le message dans une autre langue avec la plus grande précision possible, sans le recouvrir d’interprétations ou de reformulations excessives.
En confondant les deux niveaux, exégèse et traduction, cette version brouille la frontière entre le texte révélé et son explication, rendant difficile une lecture purement textuelle et autonome du verset en français.
Ce choix méthodologique a certes le mérite de la pédagogie, mais il se fait au détriment de la neutralité indispensable à toute traduction du sens du Qurʾān. Le lecteur ne lit plus le verset, mais son explication intégrée. Ainsi, la traduction cesse d’être un espace de restitution fidèle du message divin pour devenir un prolongement de l’exégèse.
À cette première limite s’ajoute une seconde, plus subtile mais tout aussi significative : l’absence quasi totale de traçabilité scientifique.
Dans son introduction, Nabil Aliouane expose avec soin ses choix et cite de manière précise ses sources, mentionnant systématiquement les ouvrages et les numéros de page. Mais cette rigueur initiale disparaît totalement une fois franchie la section introductive : dans le corps de la traduction.
Hormis les numéros de hadiths et la mention de quelques savants, aucune référence précise ne permet de vérifier l’origine des explications retenues ni les raisons d’une interprétation plutôt qu’une autre.
Or, dans un travail d’une telle envergure, énumérer des autorités : Ibn ʿUthaymīn, al-Shawkānī, Ibn al-Jawzī ou Ibn Taymiyyah, ne suffit pas.
II. La traduction de Rachid Maach
Sur ce point essentiel, la traduction de Rachid Maach, bien que très différente dans la forme, rejoint malheureusement la même faiblesse méthodologique.
Son introduction demeure générale : il affirme vouloir rester fidèle au sens le plus authentique et « choisir l’interprétation qui remportait l’adhésion du plus grand nombre », mais ces déclarations demeurent purement théoriques.
Aucun critère précis, aucune source exégétique ni principe linguistique n’est explicitement mentionné.
Cette absence de rigueur se prolonge dans la traduction elle-même : aucune référence ne permet au lecteur de retracer l’origine des choix interprétatifs, ni de savoir sur quelle autorité savante ils reposent.
Ainsi, chez Nabil Aliouane comme chez Rachid Maach, cette absence de traçabilité constitue une faiblesse méthodologique majeure. Elle empêche le lecteur de comprendre la démarche du traducteur, de suivre ses arbitrages lexicaux ou de vérifier leur conformité aux interprétations classiques.
Le résultat est une traduction dont la crédibilité scientifique demeure fragile, précisément parce qu’elle repose sur une méthode insuffisamment explicitée.
Le lecteur se voit alors indirectement contraint de faire aveuglément confiance au traducteur, sur la seule base de sa formulation élégante et de son intention déclarée, sans disposer des éléments nécessaires pour évaluer la justesse du sens rendu ou la fidélité à la tradition exégétique.
Une telle présentation, dépourvue de traçabilité rigoureuse, n’est déjà pas à la hauteur d’un travail scientifique digne de ce nom ; que dire alors d’un projet aussi sensible et sacré que la traduction du sens du Qurʾān.
Le traducteur du Qurʾān se doit, plus que tout autre, d’une méthodologie transparente et documentée, justifiant chacun de ses choix linguistiques ou exégétiques, et indiquant clairement sur quelle autorité savante il s’appuie.
Une telle exigence n’est pas un luxe académique, mais une nécessité religieuse et intellectuelle dès lors qu’il s’agit de transmettre au lecteur non arabophone le sens de la Parole d’Allah.
C’est d’autant plus regrettable que, sur le plan formel, la traduction de Rachid Maach témoigne d’une réelle maîtrise linguistique et d’une grande sensibilité littéraire.
Contrairement à Nabil Aliouane, il ne cherche pas à multiplier les explications ni à insérer des commentaires dans le corps du texte. Son approche consiste à traduire le texte, non à le commenter, réservant les notes de bas de page aux précisions jugées indispensables ou aux divergences d’interprétation les plus marquées.
Cette sobriété méthodologique confère à sa traduction une lisibilité et une fluidité remarquables : le texte se lit aisément, sans interruption ni surcharge, tout en conservant une certaine élévation de ton conforme à la majesté du discours révélé.
Sur le plan linguistique, le style est clair, équilibré et rythmé. L’auteur semble avoir cherché à reproduire la musicalité et le souffle du texte original : certaines phrases présentent un rythme régulier, parfois légèrement rimé, qui rappelle l’harmonie du Qurʾān sans tomber dans l’imitation artificielle.
Le résultat est souvent élégant, voire poétique, sans jamais devenir obscur. Ce travail de style témoigne d’un effort sincère pour rendre perceptible la beauté et la force du message révélé à un lectorat francophone.
Traduire le sens du Qurʾān : un défi collectif
En somme, si les démarches de Nabil Aliouane et de Rachid Maach diffèrent par la forme et présentent chacune des mérites certains, elles se rejoignent sur le fond : l’absence d’une rigueur scientifique solide et d’une méthodologie clairement exposée.
Toutes deux témoignent néanmoins d’un effort sincère et d’une réelle volonté de servir la Parole d’Allah à travers la langue française. Ces deux initiatives représentent donc une avancée importante dans le domaine de la traduction du sens du Qurʾān, même si elles demeurent encore éloignées du niveau d’exigence que requiert un tel projet.
Dès lors, la question initiale mérite d’être reprise : quelle est la meilleure traduction du sens du Qurʾān en français ?
À la lumière de ce qui précède, il apparaît qu’aucune traduction ne peut prétendre, à elle seule, remplir pleinement les critères de fidélité, de rigueur et de transparence méthodologique.
Mais chacune offre une contribution utile, selon l’usage que l’on souhaite en faire.
Ainsi :
– Pour une lecture fluide, littéraire et harmonieuse, visant à découvrir le sens général du Qurʾān dans une langue claire et agréable, la traduction de Rachid Maach apparaît la plus adaptée.
– Pour une lecture plus pédagogique et explicative, qui intègre des éléments d’exégèse et facilite la compréhension du message à la lumière des savants, la traduction de Nabil Aliouane sera plus appropriée.
Il ne s’agit donc pas de désigner la meilleure traduction au sens absolu, mais de reconnaître que ces deux approches répondent à des besoins distincts : l’une tend vers la restitution littéraire du texte, l’autre vers son explication synthétique.
Elles illustrent, chacune à leur manière, la difficulté de trouver un équilibre entre fidélité au sens révélé et accessibilité du discours pour le lecteur contemporain.
Toutefois, ces deux essais rappellent aussi l’ampleur de la tâche. Traduire le sens du Qurʾān semble difficile, voire impossible, à réaliser pleinement par un seul homme, aussi savant ou talentueux soit-il.
La densité linguistique, la richesse sémantique et la portée doctrinale du texte révélé exigent une démarche collégiale, fondée sur la complémentarité des compétences.
Une traduction réellement fiable et rigoureuse ne peut voir le jour que par le concours :
– de mufassirūn (exégètes), pour garantir la justesse doctrinale ;
– de linguistes arabophones spécialisés dans la langue et ses sciences, pour préserver les nuances du texte source ;
– de traducteurs francophones expérimentés, pour assurer la clarté et la cohérence du rendu ;
– et de relecteurs spécialisés, pour veiller à l’harmonie d’ensemble.
C’est sans doute à cette condition qu’une traduction du sens du Qurʾān pourra espérer concilier fidélité, exactitude et beauté d’expression, et rendre justice, dans la mesure du possible, à la grandeur du texte révélé.
Puisse Allah – exalté soit-Il – faciliter une telle entreprise, et nous accorder la compréhension de Son Noble Livre !
Écrit par l’humble serviteur espérant le pardon de son Seigneur :
1 : Ṣād, v : 292 : Rachid Maach, « Le Coran : Traduction du sens de ses versets d’après les exégèses de référence », p. 8
