﷽
« Les gens ont plus besoin de science que de nourriture et de boisson, car celles-ci ne sont nécessaires qu’une ou deux fois par jour, tandis que la science est indispensable à chaque instant, comme la respiration pour vivre. »(1)
Cette parole saisissante de l’imam Aḥmad ibn Ḥanbal – qu’Allah lui fasse miséricorde – résume à elle seule la place que doit occuper la science religieuse dans la vie du croyant. Elle ne se contente pas de rappeler que la science est importante ; elle affirme qu’elle est vitale. Elle est pour le cœur ce que la nourriture et la boisson sont pour le corps : sans elle, il s’affaiblit, s’égare et finit par mourir spirituellement.
Nourriture du corps et nourriture du cœur
Dès les premiers mots, cette sagesse nous place devant une vérité que nous oublions trop souvent, happés par le tourbillon de nos préoccupations matérielles. Notre âme, tout comme notre corps, est sujette à la faim et à la soif. Mais alors que les besoins physiques se satisfont par quelques repas, la faim de l’âme exige une alimentation constante, ininterrompue, car elle se renouvelle à chaque instant.
Or, la nourriture de l’âme n’est ni l’or, ni l’argent, ni le confort matériel, ni même la simple accumulation d’expériences : c’est la connaissance de ce qu’Allah aime et agrée, de ce qu’Il interdit et réprouve, et des moyens d’atteindre Sa satisfaction. Autrement dit : la science religieuse.
L’imam Aḥmad ne fait pas ici un simple éloge de l’étude ; il établit une hiérarchie radicale des besoins humains : avant de se préoccuper de remplir son ventre, il faut s’assurer que son cœur n’est pas vide. Car un corps rassasié mais un cœur ignorant mène à la ruine spirituelle, tandis qu’un corps éprouvé par la faim mais un cœur nourri de science et de foi peut atteindre les sommets de la piété et du contentement.
Cette perspective s’éclaire encore davantage lorsqu’on considère la fréquence de ces besoins : la nourriture et la boisson, si on les néglige, mettent en péril la vie corporelle en quelques jours ; mais l’ignorance de la vérité divine met en péril l’âme à chaque instant. Chaque décision, chaque parole, chaque acte engage notre responsabilité devant Allah. Sans science, comment discerner ce qui nous rapproche de Lui de ce qui nous éloigne ?
Ce que l’imam Aḥmad énonce n’était d’ailleurs pas, chez les premiers, une théorie abstraite. Il a été rapporté(2) qu’à cause de la faim, il arrivait à Abū Hurayrah – qu’Allah soit satisfait de lui – de lier une pierre sur son ventre ou de s’allonger sur le sol pour contenir les spasmes… mais il ne quittait pas le seuil du Messager d’Allah ﷺ, de peur de perdre une seule parole qui sortirait de sa bouche. Ni la rudesse de ses conditions ni la morsure de la faim qui lui creusait le ventre ne l’ont détourné ; elles ont, au contraire, affûté son ardeur à apprendre et raffermi son attachement à la transmission.
La science avant l’action
La science religieuse n’est donc pas réservée à une élite. Elle n’est ni une option ni un simple ornement intellectuel. Elle est la lumière qui éclaire la route du croyant, la nourriture qui nourrit son cœur, l’armure qui protège sa foi et l’eau qui vivifie son âme. Sans elle, l’adorateur s’égare, livré aux ambiguïtés et aux passions.
Il n’est pas étonnant, dès lors, que le premier mot révélé au Prophète ﷺ ait été : ﴾ Lis ! ﴿(3) Un mot unique, limpide, impérieux. À l’aube de la Révélation, Allah n’ouvrit pas par un ordre d’agir mais par un ordre de savoir pour éclairer la voie.
Lire ici n’est pas seulement déchiffrer des lettres : c’est consentir à être instruit par la Parole d’Allah, apprendre à reconnaître Ses signes dans le Livre révélé comme dans la création. La porte de la guidance s’ouvre par la connaissance ; la connaissance, pour le croyant, est une lumière qui éclaire sa marche.
Cette hiérarchie divine réapparaît dans un autre verset d’une éloquence limpide : ﴾ Sache donc qu’il n’y a point de divinité digne d’adoration en dehors d’Allah, puis implore le pardon pour ton péché. ﴿(4) Le verbe sache précède l’injonction implore. La science avant l’action.
Et parce que l’apprentissage précède la pratique, les imams ont fait de la recherche du savoir un labeur prioritaire, parfois au prix du confort le plus élémentaire. Ainsi, malgré son jeune âge, la pauvreté et la rudesse des voyages à son époque, l’imam al-Shāfiʿī – qu’Allah lui fasse miséricorde – prit la route pour apprendre auprès des savants. Il n’avait que treize ans lorsqu’il se rendit à La Mecque pour étudier auprès de l’imam Mālik – qu’Allah lui fasse miséricorde – et d’autres grands érudits qui s’y trouvaient alors(5).
C’est ce souci qui poussait l’imam al-Bukhārī – qu’Allah lui fasse miséricorde – à se réveiller parfois plus de vingt fois par nuit pour noter un point de science qui lui venait à l’esprit, craignant de l’oublier au matin(6).
Voilà le rapport qu’eux entretenaient avec le savoir… et nous, où en sommes-nous ?
Les enseignements du Qurʾān et de la Sunnah
Or, ce lien intime avec la science n’est pas une simple tradition d’érudits : il plonge ses racines dans les enseignements du Qurʾān et de la Sunnah. C’est précisément parce que la science précède l’action qu’Allah a blâmé, dans la sourate Al-Fātiḥah, ceux qui ont agi sans savoir.
Nous Lui demandons chaque jour, à chaque prière : ﴾ Guide-nous sur le droit chemin ﴾6﴿ le chemin de ceux que Tu as comblés de Tes bienfaits, non pas celui de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés. ﴿(7)
Sufyān ibn ʿUyaynah – qu’Allah lui fasse miséricorde – a expliqué cela en des termes tranchants : « Celui de nos savants qui se corrompt ressemble aux Juifs ; et celui de nos dévots qui se corrompt ressemble aux Chrétiens. »(8)
Ainsi se dessine l’équilibre vital : science qui éclaire l’adoration, et adoration qui donne chair à la science. Si l’une manque, l’autre dévie : la science sans pratique trahit, la pratique sans science s’égare.
Et sourate Al-ʿAṣr, courte et incisive, résume toute l’ampleur de l’enjeu : ﴾ Par le Temps ! ﴾1﴿ L’homme est certes en perdition, ﴾2﴿ sauf ceux qui ont cru, accompli des œuvres bonnes, se sont recommandés mutuellement la vérité et la patience. ﴿(9)
L’humanité tout entière est ainsi noyée dans la perdition, sans exception, à moins de réunir quatre qualités indissociables :
. Une foi établie sur la science authentique ;
. Des actes guidés par la science ;
. La vérité ancrée dans la science ;
. Une patience fortifiée par la science.
La science n’est donc pas optionnelle : elle est la graine même du salut, à la racine de l’édifice.
Un principe structurant de la vie du croyant
Qu’on médite encore cet honneur singulier : dans le Qurʾān, une seule chose a été ordonnée au Prophète ﷺ de demander en augmentation : ﴾ Et dis : Ô mon Seigneur, augmente-moi en savoir ! ﴿(10) Ni plus de subsistance, ni plus de force, ni même plus de bien : plus de science.
Si le meilleur des créatures reçut l’ordre de demander davantage de science, comment nos cœurs, si faibles et si exposés à l’oubli, pourraient-ils s’en croire rassasiés ?
La parole de l’imam Aḥmad illustre parfaitement cette réalité : la nourriture et la boisson ne prolongent qu’une vie au terme déjà écrit, tandis que la science nourrit une vie commencée ici-bas et prolongée jusque dans l’au-delà.
Un corps rassasié avec un cœur ignorant marche vers la ruine ; un corps éprouvé mais un cœur nourri de science et de foi peut atteindre des sommets de piété. Comme on ne se nourrit pas d’un seul repas pour une vie, on ne se contente pas d’une initiation ponctuelle : on se provisionne jusqu’au dernier souffle. Et plus on apprend, plus on mesure ce qu’on ignore ; plus on avance, plus on prend conscience de sa petitesse.
La science religieuse n’est donc pas un créneau parmi d’autres, mais l’axe central qui structure la vie du croyant : ses journées tournent autour d’apprentissage, de révision, de méditation, de consultation des savants et de mise en pratique.
Puisse Allah – exalté soit-Il – nous faire aimer la science, nous accorder un savoir bénéfique, nous préserver d’un savoir qui sera un argument en notre défaveur et faire de notre apprentissage un chemin sûr vers Lui.
Qu’Il nous accorde la rectitude, qu’Il fasse de nous des clés ouvrant vers le bien, des causes de guidée pour Ses serviteurs, et qu’Il nous inscrive parmi ceux dont le Messager d’Allah ﷺ a dit : « Celui qui montre un bien a la même récompense que celui qui l’a fait. »(11)
Écrit par l’humble serviteur espérant le pardon de son Seigneur :
1 : « Miftāḥ Dār al-Saʿāda li-Ibn al-Qayyim», v. 1, p. 772 : Al-Bukhārī (n°: 6452)
3 : Al-ʿAlaq, v : 1
4 : Muḥammad, v :19
5 : « Siyar A‘lam al-Nubala’ », v. 10, p. 326 : « Al-Bidāyah wa al-Nihāyah », v. 11, p. 28
7 : Al-Fātiḥah, v : 6-7
8 : « Majmūʿ al-Fatāwā », v. 16, p. 567
9 : Al-ʿAṣr, v :1-3
10 : Ṭā Hā, v :114
11 : Muslim (n°: 1944)