﷽
« Je chercherais la science jusqu’à ce que je sois dans la tombe. »(1)
Cette parole mémorable de l’imam Aḥmad ibn Ḥanbal – qu’Allah lui fasse miséricorde – résonne encore aujourd’hui sur bien des langues. Mais elle ne doit pas rester une maxime décorative, un simple ornement dans nos citations. Elle doit se vivre. S’incarner. Orienter nos priorités et marquer notre rapport à la science religieuse.
Combien d’entre nous en on fait un véritable programme de vie ? Combien la recherchent avec l’ardeur qu’elle exige ? Rechercher la science religieuse n’est pas un passe-temps qui meuble les vides de notre emploi du temps. C’est, comme l’a affirmé le Prophète ﷺ, une obligation pour chaque croyant et chaque croyante(2).
Cette noble quête demande organisation, discipline, investissement, patience. C’est un chemin long, parfois éprouvant, mais dont les fruits sont immenses et bénis : un accès au Paradis(3).
Aujourd’hui, Internet a rendu cet accès plus rapide et plus vaste que jamais. Un cours peut être suivi depuis n’importe quel endroit. Un livre rare téléchargé en quelques secondes. Mais dans cette abondance, la détermination s’est affaiblie. La paresse s’est installée. La désorganisation est devenue la norme. On veut tout, tout de suite. On délaisse les bases méthodologiques. On méprise la rigueur scientifique, comme si elle n’était qu’un détail.
Jadis, les aspirants au savoir sacrifiaient leurs économies, quittaient leur foyer, enduraient la faim et parcouraient des centaines de kilomètres – parfois des années de voyage – pour entendre un seul hadith du Prophète ﷺ. Ils savaient que la science religieuse n’est pas un simple cumul d’informations : c’est une lumière qui éclaire le cœur, oriente l’action et engage la responsabilité.
Aujourd’hui, cette facilité d’accès a créé une illusion dangereuse : croire que connaître l’existence d’une chose, c’est la maîtriser. On confond « simples connaissances » et « véritable savoir ». On confond lire un résumé et posséder un savoir. L’imam Ibn al-Mubārak – qu’Allah lui fasse miséricorde – disait : « L’homme demeure savant tant qu’il recherche la science ; lorsqu’il croit qu’il sait, il devient ignorant. »(4)
Le contraste devient encore plus amer lorsque, dans le même temps, nous voyons des non-musulmans – islamologues, orientalistes – investir des années de leur vie pour apprendre l’arabe, étudier minutieusement nos sources et les décortiquer avec rigueur. Ils apprennent la grammaire, l’histoire, la théologie, et consultent les manuscrits originaux avec patience et discipline. Pendant ce temps, certains d’entre nous peinent à lire correctement la Fātiḥah ou à assimiler ce qu’il leur est obligatoire de connaître. Alors, que dire de l’apprentissage complet du Qurʾān, de la mémorisation de milliers de hadiths, ou des nuits entières passées à veiller dans la recherche et l’étude — autant d’objectifs élevés qui furent jadis l’aspiration naturelle de nos prédécesseurs ?
Et pourtant, aujourd’hui, on se contente de threads, de vidéos de quelques minutes et de bribes d’articles lus à la va-vite sur les réseaux sociaux. Où sommes-nous donc de l’Empire ʿAbbasside, cet « âge d’or », où le monde entier reconnaissait l’excellence scientifique des musulmans dans tous les domaines ? Où sommes-nous des symboles d’érudition que représentent jusqu’à ce jour les noms de Al-Khuwārizmī, de Ibn Sīnā ou de Ibn Baṭṭūtah ?
Aujourd’hui, nous avons tout à portée de main… mais parfois moins de persévérance que ceux qui, jadis, copiaient à la main des volumes entiers à la lumière d’une lampe à huile. Ce qui aurait dû produire une génération plus enracinée dans le savoir a, chez beaucoup, produit l’inverse : paresse, impatience, fuite devant l’effort.
Au lieu d’une soif accrue de science religieuse, cette aisance numérique a engendré un consumérisme du savoir : accumulation de citations, de résumés, de fragments… mais sans assimilation réelle.
Nous voulons les fruits sans planter l’arbre. La récolte sans avoir labouré la terre. L’honneur de la science sans passer par l’effort qu’elle réclame. Mais celui qui prend son temps atteint ses besoins, tandis que celui qui se précipite s’égare et chute.
Cette modeste série d’articles a pour objet de pointer du doigt ce phénomène. Non pour condamner Internet, ni nier ses immenses bienfaits. Mais pour rappeler une vérité : tout moyen, aussi bénéfique soit-il, peut devenir un argument contre nous le Jour du Jugement si nous l’avons mal utilisé.
Nous examinerons donc :
. la place centrale que doit occuper la science religieuse dans la vie du croyant,
. l’usage des moyens modernes dans la quête de la science,. et le paradoxe de notre époque dans l’apprentissage.
Puisse Allah – exalté soit-Il – faire de ce voyage intellectuel une occasion de nous interroger sincèrement sur notre rapport aux outils qui nous entourent… et surtout de retrouver le goût de l’effort et de la rigueur dans la recherche du savoir, à l’image de nos pieux prédécesseurs.
Qu’Il nous accorde la rectitude, qu’Il fasse de nous des clés ouvrant vers le bien, des causes de guidée pour Ses serviteurs, et qu’Il nous inscrive parmi ceux dont le Messager d’Allah ﷺ a dit : « Celui qui montre un bien a la même récompense que celui qui l’a fait. »(5)
Écrit par l’humble serviteur espérant le pardon de son Seigneur :
1 : « Manāqib al-Imām Aḥmad », p. 2052 : Rapporté par Ibn Mājah (n°: 224), Al-Bayhaqī dans « Shuʿab al-īmān » (n°: 1667), et Aṭ-Ṭabarānī (v. 10, p. 195). Shaykh Al-Albānī l’a authentifié dans « Ṣaḥīḥ al-Jāmiʿ » (n°: 3913).
3 : Muslim (n°: 2699)
4 : « Al-Mujālasah wa Jawāhir », v. 2, p. 186
5 : Muslim (n°: 1944)