﷽
À l’ère numérique, la parole religieuse s’est libérée des chaînes du savoir, mais s’est souvent égarée. Qui parle au nom de la religion ? Et sur quelle base ?
Ce modeste article est donc un rappel urgent pour restaurer la rigueur dans la transmission et l’apprentissage de l’Islam.
L’Islam est une religion de science et de rigueur, où la parole n’a de valeur que lorsqu’elle émane de ceux qui la maîtrisent véritablement. Malheureusement, à notre époque marquée par l’essor des réseaux sociaux, une tendance inquiétante s’est imposée : des voix sans légitimité ni compétence se permettent de parler au nom de la religion, diffusant des avis, des fatāwās et des interprétations souvent éloignées de la science authentique. Cette réalité, loin d’être anodine, représente un danger spirituel et intellectuel pour la communauté musulmane, car elle conduit à la propagation de l’ignorance sous couvert de prêche. Allah ﷻ a pourtant établi des règles claires concernant l’apprentissage et la transmission du savoir religieux. Dans le Qur’ān, Il ﷻ ordonne : ﴾ Demandez donc aux gens du rappel si vous ne savez pas ﴿(1). Ce verset, aussi limpide qu’injonctif, trace une ligne directrice : la connaissance religieuse ne s’improvise pas, et celui qui ignore doit se tourner vers ceux qui détiennent la science, et non vers le premier. Les « gens du rappel » désignent les savants, ceux qui ont consacré des années à étudier le Qur’ān, la Sunnah.
Pourtant, aujourd’hui, beaucoup préfèrent écouter un influenceur sans formation plutôt qu’un érudit reconnu, simplement parce que le premier parle un langage plus accessible ou flatte leurs passions. Le Prophète ﷺ avait déjà mis en garde contre cette dérive : « Allah ne retire pas la science en l’arrachant aux gens, mais Il la retire en rappelant à Lui les savants, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun savant. Les gens prendront alors comme chefs des ignorants ; on leur posera des questions et ils répondront sans science : ils s’égareront et égareront les autres. »(2) Cette prophétie décrit avec une précision troublante notre époque, où des personnes sans grande formation solide ni longues études religieuses endossent le rôle de prédicateur et d’enseignant.
Les premières générations, les salafs, étaient extrêmement rigoureux sur cette question, ils ne prenaient la religion que des savants et personnes qui avaient un savoir reconnu. L’imam Ibn Sīrīn رحمه الله disait : « Cette science est la religion, alors vérifiez bien de qui vous prenez votre religion. » Cette parole résume à elle seule l’état d’esprit qui devrait animer tout musulman soucieux de sa foi. À l’époque des salafs, personne n’aurait osé parler de religion sans avoir étudié de nombreuses années auprès des savants reconnus, sans avoir atteint un niveau d’étude validé, car ils savaient que l’ignorance en la matière est une trahison envers Allah et les croyants. Aujourd’hui, pourtant, c’est tout l’inverse, des individus sans grande connaissance ni longue formation se permettent de parler au nom de la religion.
Les réseaux sociaux amplifient ce triste phénomène en donnant une tribune à ces prêcheurs autoproclamés. Sous prétexte de « simplifier » l’Islam, de le « rendre plus accessible » ou « de s’adapter au public », certains vulgarisateurs n’hésitent pas à déformer des concepts religieux pour plaire à leur audience. Le problème fondamental réside dans le fait que la religion ne peut se réduire à des slogans, des effets visuels, des concepts ou à des citations isolées. Elle repose sur une méthodologie rigoureuse, une compréhension minutieuse des textes du Qur’ān et de la Sunnah.
L’émergence des « influenceurs islamiques » représente ainsi l’un des défis majeurs pour la transmission authentique de l’Islam à notre époque. Ces nouveaux visages du « prêche digital », souvent dépourvus de formation religieuse solide, ont progressivement instauré une dangereuse culture du « fast-dîn » – une religion instantanée et superficielle, déconnectée de ses fondements savants. Leur approche séduisante mais fallacieuse détourne du véritable savoir.
Cette séduction des lumières est tristement favorisée à celle du savoir !
Ces prêcheurs 2.0 excellents dans l’art du storytelling religieux transforment la transmission du savoir en spectacle émotionnel. Leurs vidéos soigneusement montées, leurs punchlines percutantes et leur communication travaillée créent une illusion de compétence là où ne réside souvent qu’un vernis de connaissances. Leur influence repose moins sur la profondeur de leur savoir que sur leur capacité à exploiter les algorithmes et les tendances du moment.
Le phénomène est d’autant plus pernicieux qu’il engendre une forme de « religion parallèle » où :
- Les sujets abordés deviennent des produits marketing adaptés aux tendances.
- La qualité se mesure au charisme de l’orateur plutôt qu’à son savoir.
Il est alors urgent de rétablir la balance et de se prémunir contre cette dérive !
La communauté, la jeunesse, doit se rééduquer sur l’importance des sources et des références savantes, et faire un retour aux fondamentaux : exiger des preuves, vérifier les sources et privilégier les savants et étudiants reconnus. Avant d’écouter quelqu’un, il faut se poser des questions simples : cette personne a-t-elle étudié auprès de savants ? Ses paroles s’appuient-elles sur des preuves claires du Qur’ān et de la Sunnah ? Est-elle reconnue et recommandée par ses enseignants et des savants ? Si la réponse est non, cette personne ne peut alors être prise comme référence.
L’Islam encourage certainement la recherche du savoir, mais de manière structurée et encadrée.
La religion n’est pas un jeu où chacun peut improviser. L’enjeu dépasse la simple polémique : il s’agit de préserver l’intégrité même de la transmission de la religion.
La religion est un dépôt sacré qui doit être transmis avec rigueur et respect. Chaque musulman doit devenir un gardien vigilant contre cette marchandisation du sacré, en exigeant systématiquement les preuves scripturaires et les qualifications des prêcheurs qu’il suit.
À l’heure où l’ignorance se pare des atours de la connaissance, il est plus que jamais crucial de revenir aux sources authentiques et de redonner aux savants leur place légitime.
Demandant à Allah de nous accorder la connaissance, le suivi et la pratique de la Sunnah authentique de notre Prophète Muhammed ﷺ et de nous accorder de faire partie de ceux à propos desquels le Messager d’Allah ﷺ a dit « Celui qui montre un bien a la même récompense que celui qui l’a fait. »(3)
Écrit par :
Abū ۶Abd Ar-Rahmān ۶Ādil ibn ۶AbdiLlah As-Siqilī
2 : Voir Al-Bukhārī (T : 1/ P : 269 / n°: 102) – édition « Dār At-Ta’sīl » – et Muslim (T : 7 / P : 38 / n°: 2767) – édition « Dār At-Ta’sīl » -.
3 : Rapporté par Muslim (T : 5 / P : 218 / n°: 1944) – édition « Dār At-Ta’sīl » –, selon Abū Mas۶ūd رضي الله عنه