Diriger la prière sans dévier : la Sunnah du voyageur à préserver

 

Le Prophète a, dans une parabole saisissante(1), illustré l’état de la communauté en la comparant à des passagers répartis sur un bateau, certains installés sur le pont supérieur, d’autres dans la cale. Ceux du bas, pour éviter de déranger ceux du haut lorsqu’ils allaient chercher de l’eau, se dirent : « Pourquoi ne pas faire un trou dans la partie du battu que nous occupons, nous éviterons ainsi de déranger les passagers du pont supérieur ? » Leur intention pouvait sembler raisonnable, mais leur décision aurait conduit l’ensemble des passagers à la noyade. Or, s’ils étaient empêchés d’agir ainsi, tous étaient sauvés.

Ce hadith fondamental rappelle la responsabilité des étudiants en science et des prédicateurs : guider les musulmans avec sincérité, veiller à préserver la conformité de la pratique religieuse, et protéger la communauté des écarts et innovations.

Ce modeste article, qui s’adresse en priorité aux prédicateurs et étudiants en science, a ainsi pour objectif de pointer du doigt une pratique trop fréquente et pourtant contraire à la Sunnah du Prophète : diriger la prière devant des fidèles résidents lorsqu’on est en voyage, sans réduire les prières de quatre unités (ḍuhr, ʿaṣr, ʿishāʾ) à deux rakʿāt seulement, comme cela est la Sunnah du Prophète ﷺ.

 

Le voyageur peut diriger… mais selon la Sunnah

Il est essentiel de préciser, dès le départ, qu’il n’y a aucun mal à ce qu’un voyageur dirige la prière devant des fidèles résidents. Cet acte, en soi, n’est ni interdit ni blâmable. Le Prophète lui-même a dirigé des prières alors qu’il était en voyage, et les savants(2) ont confirmé sans ambiguïté la validité de cet imamat.

Cependant, la Sunnah prophétique à ce sujet est limpide : le voyageur prie deux rakʿāt, conformément à son statut, puis les résidents qui prient derrière lui complètent leur prière en quatre unités. Sur ce point, l’entente unanime des savants est établie et reconnue(3).

Ainsi, ʿUmar ibn al-Khaṭṭāb رضي الله عنه, lorsqu’il arrivait à La Mecque, priait avec ses habitants deux rakʿāt, puis leur disait : « Ô gens de la Mecque, complétez votre prière, car nous sommes en voyage ! »(4)

L’imamat du voyageur devant des résidants est donc permis, mais à condition qu’il reste fidèle aux règles qui le concernent.

Le problème dénoncé n’est donc pas dans l’acte de diriger la prière devant des fidèles résidents lorsqu’on est en voyage, mais la manière dont certains l’accomplissent : ils prient quatre unités alors qu’ils sont voyageurs.

Or, une telle pratique contredit directement la Sunnah prophétique, et entraîne inévitablement des conséquences dans la communauté. Et c’est bien là le cœur du problème.

 

Une erreur trop répandue

Il est malheureusement fréquent de voir des étudiants en science et des prédicateurs, lorsqu’ils sont invités dans des mosquées éloignées de leur domicile, diriger la prière et compléter celles de quatre unités (ḍuhr, ʿaṣr, ʿishāʾ) comme s’ils étaient résidents.

Ce geste, parfois motivé par la convenance ou par la crainte de troubler les fidèles, constitue pourtant une opposition claire à la pratique constante du Prophète .

Le problème est double :

– Pour eux-mêmes, car ils délaissent une Sunnah prophétique reconnue.

– Pour les fidèles, qui, voyant un étudiant ou un prédicateur agir ainsi, croient que cela est la Sunnah prophétique.

 

La règle prophétique constante

En effet, ʿĀʾishah et Ibn ʿAbbās رضي الله عنهما rapportent que le Prophète a dit : « La prière fut prescrite en deux unités. La prière du voyage fut maintenue telle quelle [deux rakʿāt], et celle du résident fut complétée [à quatre unités]. »(5)

Ibn ʿUmar رضي الله عنهما a aussi témoigné : « J’ai accompagné le Messager d’Allah en voyage, et il ne faisait ses prières [rituelles de quatre unités] que deux rakʿāt seulement jusqu’à ce qu’Allah le rappelle à Lui. J’ai aussi accompagné Abū Bakr, puis ʿUmar, puis ʿUthmān, et chacun d’eux faisait de même jusqu’à leur mort. »(6)

Et Anas ibn Mālik رضي الله عنه a dit : « Nous partîmes avec le Messager d’Allah de Médine à La Mecque. Il fit chaque prière avec deux rakʿāt jusqu’à notre retour. »(7)

Et Shaykh Al-Islām Ibn Taymiyyah رحمه الله résume : « Le Messager d’Allah a voyagé près de trente fois, et durant ses voyages il priait deux rakʿāt. Aucun des gens de science n’a rapporté de lui qu’il ait jamais prié quatre unités en voyage. »(8)

Ce constat sans équivoque montre que réduire la prière en voyage n’est pas une simple permission secondaire, mais bien la pratique constante et ininterrompue du Prophète . S’en détourner, c’est donc s’exposer au risque de délaisser sa guidée.

 

Obéir au Prophète , c’est obéir à Allah !

À lui seul, ce rappel suffirait à clore la discussion. Mais pour que nul ne minimise la portée de cette Sunnah prophétique, rappelons que l’obéissance au Messager n’est rien d’autre que l’obéissance à Allah. Notre Seigneur dit :

Quiconque obéit au Messager obéit certes à Allah ! ﴿(9)

Si vous lui obéissez, vous serez bien guidés. ﴿(10)

Il ne convient pas à un croyant ou à une croyante, lorsque Allah et Son Messager ont décidé d’une chose, d’avoir encore le choix dans leur affaire. ﴿(11)

 

Erreur et confusion… la solution

Lorsque le voyageur est alors invité à diriger la prière, deux cas se présentent :

1. Il prie deux unités et salue, laissant les fidèles compléter individuellement. Toutefois, cela provoque souvent du désordre dans la mosquée : certains se lèvent, d’autres hésitent, certains se trompent.

2. Il prie quatre unités pour s’aligner sur les résidents. Mais ce choix le place dans une contradiction flagrante avec la Sunnah du Prophète , et l’expose directement à la mise en garde divine :  Que ceux donc qui s’opposent à son ordre prennent garde qu’une épreuve ne les atteigne, ou qu’un châtiment douloureux ne les frappe. ﴿(12)

C’est ici que la gravité de l’acte doit être bien comprise : aucune logique de convenance ni aucun souci de confort apparent ne peuvent justifier de s’opposer à une pratique prophétique unanimement transmise.

C’est pourquoi les savants ont insisté avec force sur ce point, afin que personne ne minimise un tel manquement. Shaykh Al-Albānī رحمه الله a même affirmé sans détour : « Celui qui complète quatre unités en voyage commet un péché. »(13)

Face à cela, la solution est limpide :

– Si l’on doit absolument diriger, que ce soit pour les prières du fajr ou du maghrib.

– En revanche, pour les prières de quatre unités, il convient de décliner poliment et de laisser un imam résident diriger, même si l’on doit ensuite prendre la parole pour un cours ou une conférence.

 

Ô porteurs de science, rappelez-vous !

Donc, vous, prédicateurs et étudiants en science, sachez que les fidèles vous observent, vous imitent et prennent vos actes comme référence.

Votre responsabilité n’est pas seulement de transmettre par la parole, mais aussi par l’exemple. Vos erreurs ne sont jamais isolées : elles se répercutent sur toute une communauté. Vous ne devez donc pas laisser s’installer une confusion qui altère la clarté de la pratique prophétique. Il vous incombe de préserver la guidée du Prophète , même dans les détails, car c’est dans les détails que se préserve l’intégrité de la religion.

Puisse Allah – exalté soit-Il – nous faire voir la vérité comme vérité et nous accorde de la suivre, et nous faire voir le faux comme faux et nous accorde de l’éviter.

Qu’Il nous fasse aimer la Sunnah du Prophète plus que nos propres personnes, nos pères, nos enfants, nous guide vers l’application fidèle des enseignements de Son Messager , fasse de nous des causes de guidée pour Ses serviteurs, et qu’Il nous inscrive parmi ceux dont le Messager d’Allah a dit : « Celui qui montre un bien a la même récompense que celui qui l’a fait. »(14)

 

Écrit par l’humble serviteur espérant le pardon de son Seigneur :

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1 : Al-Bukhārī (n°: 2493)

2 : « Badāʾiʿ al-Ṣanāʾiʿ », v. 1, p. 101 ; « Majmūʿ Fatāwā Ibn Bāz », v. 12, p. 259 ; « Majmūʿ Fatāwā Ibn ʿUthaymīn », v. 15, p. 153

3 : « Al-Mughnī », v. 2, p. 64

4 : Mālik (n°: 504)

5 : Muslim (n°: 685)

6 : Al-Bukhārī (n°: 1102) et Muslim (n°: 689)

7 : Muslim (n°: 694)

8 : « Majmūʿ al-Fatāwā », v. 22, p. 78

9 : Al-Nisāʾ, v : 80

10 : Al-Nūr, v :54

11 : Al-Aḥzāb, v : 36

12 : Al-Nūr, v : 63

13 : https://www.al-albany.com

14 : Muslim (n°: 1944)